Le modèle standard de la
mécanique quantique, expression de l’école de Copenhague, ne se présente pas
comme une description de la réalité du monde physique mais comme
l’expression de notre connaissance de ce monde. En un mot, ce n’est pas
un modèle réaliste.
Une particule n’est pas un
corpuscule. Elle n’a pas de réalité physique. Sa position, par
exemple, est un effet de la mesure. Avant d’être mesurée, elle n’occupe
aucune position, n’a aucune vitesse, n’emprunte aucune trajectoire. Autrement
dit, la mesure ne révèle rien.
Son « objet », ce sont
des observables c’est-à-dire ce que l’on peut connaître du monde
et non des êtres, des réalités objectives qui préexisteraient à la
mesure qui les ferait apparaître.
Si elle ne décrit pas une
réalité physique qu’elle pense inaccessible, la mécanique quantique du modèle
standard, en revanche, sait prédire les événements. La prédiction du
boson de Higgs, produit en 2012 au LHC est un des beaux exemples de la
puissance de cette théorie.
Réalisme + localité
Toutefois, cet aspect simplement formaliste
de la théorie est contesté, dès l’origine. Einstein, par exemple, considère que
s’il en est ainsi, c’est en raison du caractère incomplet de la théorie.
Il doit exister des « variables cachées » ou
« complémentaires » dont la méconnaissance explique l’impuissance à décrire.
Soit le phénomène de l’intrication
qui fait, par exemple, que deux particules issues d’une même source au même
moment se comportent ensuite de manière corrélée quel que soit leur éloignement. Pour l ‘école de Copenhague,
on n’a plus deux états des particules, mais un seul état intriqué. Pour
Einstein, c’est avant tout la non-localité qui semble se manifester ici
qui n’est pas supportable. Le cône de lumière schématise ce que Einstein
entend par localité. Deux événements proches dans le temps (ici,
simultanés) ne peuvent agir l’un sur l’autre si l’espace qui les sépare est tel
que la lumière n’a pas le temps d’aller de l’un à l’autre pendant cet
intervalle de temps. Que deux systèmes voisins puissent interagir (action locale
donc), voilà qui est compréhensible, mais que deux particules éloignées
autant qu’on le voudra le puissent, voilà qui n’est pas admissible. La relativité (la vitesse de la lumière
comme limite) exclut un échange d’informations instantané. Il faut donc supposer qu’à l’origine, les
deux particules étaient programmées pour répondre de la même manière et c’est
cette propriété (ce programme), simplement, qui était demeurée cachée à
l’observateur. C’est le sens du fameux paradoxe EPR. Le fait que je
puisse prédire avec certitude, par exemple l’état de spin de la deuxième
particule, sans avoir pratiqué la moindre mesure sur elle mais en ayant
seulement constaté, par la mesure, l’état de spin de la première, prouverait
que l’état de spin de la seconde est une réalité physique, indépendante de
toute mesure. Il y aurait donc des propriétés réelles des particules
telles que les variables qui les définissent n’apparaissent pas dans l’équation
de Schrödinger qui régit leur vecteur d’état. Le refus de la non localité
conduit à une position réaliste.
Réalisme + non-localité
Le réalisme, pour se
réintroduire, peut cependant emprunter plusieurs voies. Ainsi la théorie dBB
(théorie de de Broglie, Bohm) accepte tout à fait la non localité tout
en introduisant de la réalité.
De Broglie imagine une onde
pilote. La fonction d’onde (le vecteur d’état) est comme un champ
qui guide une particule tout à fait objective, ayant une position et une
impulsion, par conséquent une trajectoire. La fonction d’onde est
réelle et non simplement formelle (simple outil mathématique
donnant des amplitudes de probabilité). D’elle résulte, selon Bohm, un potentiel
quantique qui génère une force qui est la source du mouvement de la
particule. Si l’on pouvait connaître l’état initial de la particule (qui
demeure caché), on pourrait définir sa trajectoire.
Ce potentiel quantique est bien
un champ, il est partout présent mais n’est actif que là où il y a une
particule. Son intensité ne dépend pas de la distance (ne diminue pas avec elle
comme le champ magnétique ou le champ électrique, par exemple). Il est un champ
d’information par lequel la particule est informée à chaque instant des
fluctuations de son environnement. La particule est comme un bateau piloté
par des signaux radar (c’est là, sans doute, que le concept se heurte à la relativité
qui exclut qu’un signal quel qu’il soit puisse se propager instantanément).
Selon Bohm, la particule occupe une position qui nous
est cachée. Cette supposition résout la difficulté due à la réduction du
paquet d’onde consécutif à la mesure, dans l’interprétation de Copenhague.
Selon le modèle standard, en effet, le vecteur d’état décrit une superposition
d’états (un nuage de « positions ») et la mesure contraint la
particule à « choisir » une et une seule de ces positions. La
position n’est pas le fait de la particule mais celui de l’interaction entre
le système et l’appareil de mesure.
Faire de l’onde une réalité
change la donne. Après leur interaction mutuelle, système et appareil de mesure
sont intriqués. A la sortie de toutes les mesures, toutes les ondes sont
« vides » sauf une seule. On n’a donc pas réduit la fonction
d’onde, mais la position réelle de la particule a fait que l’un des
membres seulement de la solution peut jouer un rôle.
Remarque : A cet égard, on
peut mentionner également l’hypothèse des multimondes d’Everett, selon
laquelle, la particule, au moment de la mesure, occupe effectivement toutes
les positions, individuellement, mais … dans des univers parallèles.
Il faut en fait tenir compte de deux
équations : celle de Schrödinger qui détermine comment évolue la fonction
d’onde (c’est-à-dire : comment évolue dans le temps la probabilité de
trouver une particule en une région de l’espace) et celle de Bohm qui détermine
comment les particules sont guidées par l’onde. A l’état initial, les particules
du système sont distribuées aléatoirement. Toute mesure est une interaction
authentique entre système et appareil sauf concernant la position.
Autrement dit : toutes les autres propriétés de la particule (spin, etc.)
ne sont effectivement déterminées qu’à l’instant de la mesure, alors que la
position préexiste à la mesure qui la donne.
Supposons deux particules Un appareil de mesure sur la première
particule crée un potentiel localisé au voisinage de l’origine. L’évolution de
la fonction d’onde est alors affectée via l’équation de Schrödinger.
Mais, la fonction d’onde détermine, via l’équation de Bohm, les
trajectoires des particules. Ainsi, la trajectoire de la deuxième sera affectée
par ce potentiel, même si elle est éloignée de l’origine.
Plus largement, il faut imaginer
l’existence d’une fonction d’onde de l’univers qui piloterait toutes les
particules de l’univers (leur assignerait des positions, vitesses
et donc trajectoires). Mais, le vecteur d’état de l’univers étant
infiniment complexe, on ne peut travailler que sur des sous-systèmes. Or, le
comportement d’une particule est aussi influencé par le vecteur d’état du
système plus général dans lequel son propre vecteur d’état est impliqué. De
sorte que ce dernier ne contient pas toutes les informations nécessaires
à la détermination complète du comportement de ladite particule. En outre,
l’appareil de mesure est lui-même composé de particules pilotées en dernière
analyse par le vecteur d’état de l’univers tout entier et donc enchevêtré avec
la fonction d’onde de la particule sur laquelle porte la mesure.
On voit que dans cette conception
réaliste, la non localité ne pose pas problème, qu’une action à
distance est parfaitement admissible, ce qu’Einstein ne pouvait accepter.
Toutefois, cette action à distance n’a pas lieu par propagation (cela
violerait la relativité) mais tient au fait que tous les sous-systèmes et leurs
vecteurs d’état sont inséparables et forment un seul et même système.
Si la théorie de Bohm invoque
l’existence d’une « variable cachée », elle devrait tomber sous le
coup de la critique de Bell ?
Expliquons l’inégalité de
Bell (de façon schématique). Soient 2 individus, 3 questions et 2 réponses
possibles à chaque question (V/F). Les 2 individus peuvent se mettre d’accord.
Chacun est ensuite envoyé à un bout de la galaxie. La contrainte est : si
par hasard on leur pose la même question, ils doivent donner la même réponse.
Comment est-ce possible ? Il faut qu’ils se soient entendus sur une
réponse prédéterminée. Et alors, de deux choses l’une : soit ils ont
décidé de répondre tous les deux toujours pareil : toujours V ou toujours
F. La corrélation entre les réponses est alors totale, la probabilité de
réponses identiques = 1. Soit, ils ont décidé de répondre 2 V et 1 F ou 2 F et
1 V et la probabilité pour qu’ils répondent la même chose est (passons le
calcul qui n’est pas difficile) de 5/9. Dans les deux cas, la probabilité est
> ou = à 5/9. C’est l’inégalité de Bell.
Soient maintenant 2 particules
issues d’une même source au même moment et s’éloignant l’une de l’autre dans
des directions opposées (état intriqué). On étudie 3 états du spin (le premier,
selon l’axe Z, le second tourné de 2p/3, le troisième encore tourné de 2p/3).
Lorsque la mesure est effectuée
sur chaque spin, les résultats sont parfaitement corrélés (comme dans le
premier cas pour nos deux individus). En revanche, si on choisit de mesurer au
hasard, la probabilité de mesurer la même chose de chaque côté n’est plus que
de ½. Donc inférieure à l’inégalité de Bell (5/9). On voit ici qu’un système
quantique simple viole l’inégalité de Bell.
Il y aurait localité si
une stratégie permettait au premier individu de répondre sans avoir à consulter
l’autre individu (délocalisé à l’autre bout de la galaxie). Ou si, pour une
particule, il y avait une variable (cachée) encodant dès l’origine un
comportement vis à vis de la mesure. Or, la violation de l’inégalité de Bell
exclut l’existence de telles variables et donc la localité. Les
particules intriquées sont liées entre elles. Il y a un état intriqué
des deux particules et non un état pour chacune d’elles.
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