mercredi 1 février 2023

Chapitre 4. La cosmologie – 1. Le Big-bang



1. Les obstacles épistémologiques.

La science, dans la cosmologie, s’est donnée pour but l’explication de l’origine de l’univers. La difficulté vient ici de ce que la philosophie (spécialement la métaphysique) et la religion se sont données exactement le même but et que la philosophie et la religion ont précédé la science, laissant dans l’esprit des hommes des hypothèses et surtout des croyances, au total des préjugés inconscients qui font obstacle à une juste compréhension des modèles scientifiques.

La première grande différence avec les théories philosophiques et les croyances religieuses, c’est que la science fonctionne par modèles.
Un modèle est construit sur un ensemble de postulats (ici : les paramètres cosmologiques : l’univers est homogène, isotope et plat). Il est soumis à des contraintes (il doit rendre compte des événements pour lesquels il a été imaginé mais aussi être en accord avec les données, les mesures que l’expérimentation et l’observation apportent à tout moment). Enfin, il doit permettre des prédictions qui, selon qu’elles seront ou non vérifiées, confirmeront ou infirmeront le modèle ou appelleront à des modifications.
Le modèle standard (de la mécanique quantique), par exemple, a dû prédire, pour rendre compte du fait que les bosons intermédiaires responsables de l’interaction faible, w+, w-, z0, ont une masse, à la différence des gluons et des photons, prédire, donc, l’existence d’un nouveau boson (de spin 0, ayant une masse, n’étant pas chargé électriquement). Il faudra attendre plus de 40 ans pour le produire (voir plus loin). Le boson de Higgs.

La seconde différence est que la science ne dit pas pourquoi mais seulement comment. La philosophie de Leibniz, par exemple, affirme que les seules questions auxquelles on doit répondre sont : « pourquoi y a t-il quelque chose plutôt que rien ? » et « pourquoi y a t-il ceci plutôt que cela ? ». L’explication du comment est importante mais secondaire. La religion chrétienne rend compte du pourquoi en affirmant que l’homme, pour lequel le monde a été créé, est à l’image de son créateur. Or, la question du pourquoi renvoie à l’idée de création (puisqu’elle est le pendant d’un pourquoi pas ? qui renverrait à l’absence de toutes choses). Et rien ne répugne davantage à la science (toujours à rechercher des principes de conservation) que le concept de création.

La difficulté est donc de concevoir une origine qui soit pensée de façon telle qu’on exclue que puisse être posée la question d’un avant de cette origine.

Une seconde difficulté vient de l’idée qu’on se fait de l’espace et du temps. Les questions et quand l’univers est-il né sont dépourvues de sens. Il n’y a ni espace ni temps avant l’univers. Ce qui naît c’est précisément l’espace et le temps. Si l’univers est en expansion, ce n’est pas que dans l’espace au cours du temps les galaxies s’éloignent les unes des autres, c’est que l’espace lui-même (l’univers est cet espace) se dilate.

2. Origine de l’idée d’une histoire de l’Univers.

L’idée selon laquelle l’univers à une histoire n’est pas vraiment nouvelle. Kant, par exemple, explique la formation du système solaire à partir d’une nébuleuse, et ceci au XVIII°s. Mais c’est davantage une histoire dans l’univers qu’une histoire de l’univers. Au XIXeme, la seconde loi de la thermodynamique vient prédire le refroidissement progressif de l’univers et donc son évolution vers la mort.

Mais attention ! L’Univers de la science du XX° siècle n’est pas celui des XVIII et XIX°. Il était pour ces siècles passés une enveloppe remplie d’objets physiques (étoiles, planètes, comètes, etc). Il devient avec Einstein et la théorie de la Relativité générale, un objet physique doté de propriétés. Puisqu’il n’y a pas d’attraction à distance, comme le pensait Newton, mais des déformations de l’espace qui contraignent les objets à modifier leurs trajectoires (voir plus loin), l’univers est un espace-temps doté de propriétés propres. Il n’enveloppe pas des objets physiques, il est un objet physique. Comme tel, il peut avoir une « trajectoire », c’est-à-dire une évolution : une histoire.

Toutefois, pour Einstein, l’univers n’a pas d’histoire. Il est tel qu’il est depuis toujours et destiné à le rester.
Mais, en 1920 les observations astronomiques de Hubble laissent apparaître que les galaxies s’éloignent les unes des autres au cours du temps et d’autant plus rapidement qu’elles sont plus éloignées de l’observateur. Pour Hubble, elles s’éloignent de l’observateur et les unes des autres dans l’espace. Lemaître, appliquant la théorie de la Relativité générale d’Einstein, corrige et affirme que c’est l’espace lui-même qui se dilate alors que les galaxies sont immobiles. Par ailleurs, Lemaître postule que si l’univers se refroidit, du fait de l’expansion, il devait être plus chaud dans le passé. Il est aujourd’hui à 2,75°k ; quand la Terre s’est formée il y a 4,5 milliards d’années, il devait être à 8°k. On le vérifie en observant des objets placés à 8 milliards d’années, par exemple, et on vérifie (selon le principe du spectre du corps noir) qu’il n’y en a pas un dont la température est inférieure à 8°k. Les conditions de la théorie du Big- bang sont à présent réunies.

 
3. Le Big-bang

Ainsi, l’univers est en expansion. Il a une histoire. On peut du coup faire l’hypothèse que, en remontant dans le passé, l’espace se contracte, les galaxies se rapprochent les unes des autres. L’univers devient plus petit donc se réchauffe. Il devient de plus en plus dense. Jusqu’à une singularité originelle : sans volume, infiniment chaude et infiniment dense. Le Big-bang  correspond à l’explosion (ou l’éclosion) de cette singularité originelle.
Voilà le modèle du Big-bang.

Restait à éprouver ce modèle.

a. En 1948 Gamov pense que l’univers doit être de plus en plus lumineux à mesure qu’on retourne vers le passé, puisque la chaleur augmente. On doit donc arriver à un moment donné à ce que la densité lumineuse soit plus grande que la densité de matière, c’est-à-dire à un flash. Gamov  prédit alors que, s’il y a eu Big-bang, l’univers doit être aujourd’hui baigné dans un rayonnement de corps noir à une température voisine de 3°k. Le flash qui a eu lieu quand l’univers était très chaud a produit une lumière qui doit encore exister, à l’état de fossile, dans un rayonnement micro-onde ( 1,9 mm de longueur d’onde).Ce rayonnement appelé fond diffus cosmologique, a été détecté en 1965 par Penzias et Wilson tout à fait par hasard. Ce rayonnement suppose que l’univers a été porté à une température de 3000°k au moment du flash. Ce rayonnement de fond occupe tout l’espace de l’univers de sorte que l’énergie de cette radiation est considérablement plus grande (x 10) que toute celle qui a été émise par les galaxies et les étoiles (qui n’occupent qu’une petite partie de l’espace) depuis l’origine de l’univers.


 
Ci-dessus la carte du fond diffus cosmologique, réalisée par le satellite Planck. Il s’agit du rayonnement électromagnétique issu de la singularité primordiale. Refroidi par l’expansion, il n’est plus guère que de 3°k (-270°C). Son domaine de longueur d’onde est celui de micro-ondes. On a là des photons qui ont circulé pendant plus 13 milliards d’années(*). L’univers y a 380 000 ans seulement.


b. La seconde prédiction a été que ce rayonnement extrêmement uniforme à 3°k (**) doit connaître de très légères fluctuations (de l’ordre de 10-5) qui sont à l’origine des structures de l’univers : galaxies, amas de galaxies, etc). Or elles sont justement détectées en 1991-1992.par le satellite Cobe. Le sens de ces fluctuations c’est que dans le plasma primordial les régions plus denses attirent gravitationnellement la matière tandis que la pression tend à la repousser. Ces deux forces créent des oscillations (voir plus loin pour plus de détails).

Exemple de deux prédictions qui confirment un modèle. Mais bien d’autres arguments sont en faveur de l’hypothèse d’une histoire de l’univers. A commencer par la mesure de son âge. Celui-ci se calcule de trois manières différentes qui se confirment donc mutuellement. On peut d’abord calculer à partir de la dispersion des galaxies dans le temps (expansion), le temps qu’il leur faudrait pour revenir à un point originel : 13,7 milliards d’années. On peut dater, encore, à partir du spectre de leur rayonnement, l’âge des étoiles ; les plus vieilles ont entre 15 et 13 milliards d’années. On peut enfin mesurer l’âge de certains atomes radioactifs ; jamais plus de 15 milliards d’années. Les chiffres sont concordants.
Toutefois, si ces mesures prouvent qu’il y a une histoire, elles ne confirment pas explicitement le Bib-bang originel. D’autres modèles (voir plus loin) seront proposés.

c. L’univers du début contient déjà un certain nombre d’atomes (hélium, hydrogène, lithium) produits à un moment où l’univers atteignait une température d’au moins 10 milliards de degrés kelvin, nécessaire à la production de réactions nucléaires capables de produire de l’hélium qu’on rencontre dans l’univers. Avant la formation des étoiles il n’y a pas d’atomes autres que l’hélium (4 et 5), le deutérium et le lithium 7. Or la mesure de ces quantités d’atomes est conforme aux prévisions de la théorie du Big-bang.
 
d. Il existe, selon la théorie du big-bang, trois familles de particules et trois seulement : la famille électronique (celle dont nous sommes faits), la famille muonique (radioactive, qui se désintègre) et la famille tauique. C’est ce qu’on a vérifié en 1983 au CERN sur la génération des particules z0 des interactions faibles.
Dans le diagramme   ci-dessous la courbe du milieu (en ligne continue) représente une prédiction de la théorie du Big-bang sur le nombre des familles et les points, le résultat des observations. Coïncidence parfaite !


e. Le modèle du Big-bang est actuellement retenu par tous les modèles qui s’efforcent de rendre compte de l’évolution (expansion) de l’univers.
Toutefois, l’idée d’une singularité ponctuelle comme origine est contestée :

Par la théorie des super-cordes (voir plus loin) qui prédit l’existence d’une température maximum dans l’univers. Dès lors, l’instant zéro qui est sensé avoir une température infinie ne peut pas avoir de réalité physique. On doit dès lors supposer « à l’origine » un univers qui se contracte jusqu’à acquérir cette température maximale. En conséquence de quoi, sa taille n’est pas nulle et sa densité n’est pas non plus infinie. Et parvenu à ce point il reprend son expansion. Il n’y a plus d’instant zéro. Le Big-bang ne serait plus qu’une transition de phase entre un univers en contraction et un univers en expansion. Au big-bang, il faudrait substituer un big-bounce (un grand rebond).

Par la théorie de la gravitation quantique à boucles (voir plus loin) qui affirme qu’il ne peut y avoir de volume nul dans l’espace. Tout volume est un multiple entier d’un volume qui n’est pas nul. Là encore, la singularité originelle disparaît puisqu’elle est sensée être de volume nul. On devrait avoir un univers en contraction jusqu’à atteindre le plus petit volume pour repartir en expansion. Il n’y a plus d’instant zéro. Le Big-bang ne serait plus qu’une transition de phase entre un univers en contraction et un univers en expansion. Au big-bang, il faudrait substituer un big-bounce.

Remarque sur le big-bounce : En 1930 Tolman, transposant les lois de la thermodynamique à la cosmologie relativiste découvre qu'à chaque nouveau rebond, dans une cosmologie cyclique, l'entropie doit croître.
Plus récemment, Anna Ljjas et Paul Steinhardt ont fait intervenir un champ scalaire (comparable à celui de Higgs) capable de décrire la nature de l'énergie noire responsable de l'accélération ou du ralentissement de l'expansion ; champ capable, justement, de permettre à l'expansion de se changer en contraction. Or, avec ce modèle, la contraction s'arrête bien avant la densité de Planck (évoquée tant par la théorie des super-cordes que par celle de la gravitation quantique à boucles) et le facteur d'expansion est accru par rapport à la phase précédente.
Plus récemment encore, des chercheurs, notamment de l'université de Buffalo (état de New-York) ont calculé que même si l'univers obéissait à un rythme cyclique, il devait avoir un commencement

La question de l’origine, celle de l’instant zéro n’a actuellement pas de sens en physique.


Que s’est-il passé après le Big-bang ? Et comment pouvons-nous « expérimenter » à une époque et dans des conditions qui n’existent plus de nos jours ?

___________________________
* Comment un photon peut-il "voyager" si longtemps ? Ce qui se déplace à la vitesse de la lumière ne "vieillit" pas, n'est pas soumis au temps. (Voir plus loin, Chapitre 9 : la Relativité restreinte). Dans une horloge qui se déplacerait à la vitesse de la lumière, un photon parti du bas n'arriverait jamais au miroir du haut pour y rebondir (aucun battement n'aurait lieu). Tandis qu'un des jumeaux resté au sol le temps du voyage de son frère apparaîtrait vieilli à ce dernier lors que son retour, si ce voyage s'effectuait à une vitesse proche de celle de la lumière, le voyageur, quant à lui, semblerait avoir échappé à l'emprise du temps. La vitesse de la lumière abolit le temps.
Dans le cône de lumière (Voir plus loin, Chapitre 9 : la Relativité restreinte ) ne vieillit que ce qui est à l'intérieur, que ce qui est tel que deux événements peuvent être causes l'un de l'autre c'est à dire tel que la succession de ces événements se fasse à une vitesse inférieure à celle de la lumière. Le temps, le vieillissement, c'est la succession. Dans le cône, il y a du passé et du futur. Mais, sur les bords, sur ce qui délimite le cône de lumière, les deux événements sont reliés à la vitesse de la lumière donc quasi simultanés. La succession est quasi abolie, le temps disparaît quasiment.
(Quasiment car ce que nous a appris la Relativité, c'est que la simultanéité n'existe pas (de façon absolue, mais seulement pour un observateur "idéalement" placé !)
Ainsi, vu sous ce premier angle, le photon, qui se déplace à la vitesse de la lumière, ne vieillit pour ainsi dire pas.
Précisons : pour un observateur immobile.
Mais pour le photon lui-même, qu'en est-il ? Que devient son temps propre ? La formule du temps propre est : t' = t * racine (1 - v²/c²). Pour le photon, v = c, donc v²/c² = 1, donc racine(1 - v²/c²) = 0, donc t' = t * 0 = 0. Le photon ne vieillit pas ... du tout.
Une particule immobile dans l'espace se déplace à la vitesse de la lumière dans le temps : elle vieillit. A l'inverse, un photon qui se déplace à la vitesse de la lumière dans l'espace, demeure immobile dans le temps : il ne vieillit pas.
** L'uniformité de ce rayonnement ne va pas de soi. Comment, à des distances aussi considérablement importantes les échanges ont-ils pu se produire de sorte que tous les points de l'univers aient pu être affectés ?
La solution trouvée a été celle de l'inflation. Au tout début (Big bang) l'univers est si concentré que les distances restent très faibles. Le problème n'en est plus un.
Une autre solution (qui pose bien d'autres problèmes) consisterait à imaginer qu'au début, la vitesse de la lumière était considérablement plus grande qu'elle n'est aujourd'hui, de sorte que la lumière pouvait couvrir des distances bien plus considérables et permettre les échanges qui ont conduit à l'uniformité constatée dans le fond diffus cosmologique.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire