mercredi 1 février 2023

Chapitre 8. La cosmologie - 5. L’énergie noire (ou sombre)



Au niveau cosmologique, c’est l’interaction gravitationnelle seule qui entre en jeu, donc l’attraction. En fonction de cela, le destin de l’univers devrait être de se contracter et pour finir de s’effondrer. Il devrait s'achever en trou noir. Or (Hubble) on constate au contraire une expansion, mieux, une expansion accélérée. Pas une expansion des étoiles ou des galaxies qui s'éloigneraient les unes des autres, mais une expansion de l’espace, expansion qui éloigne les galaxies les unes des autres. Il faut donc supposer une énergie du vide quantique qui aurait des effets répulsifs susceptibles de compenser les effets attractifs et  d’accélérer l’expansion de l’univers. Une force qui crée de l’espace.

1. La constante cosmologique : (Lambda)

Pour Einstein, l’univers n’a a priori ni commencement ni fin. Pas d’histoire. Or justement, à cet égard, sa théorie de la Relativité générale pose un problème. Dans un univers où seule l’attraction gravitationnelle fonctionne, l’univers devrait évoluer vers un effondrement progressif de tous les objets les uns sur les autres.
Pour sauver l’univers (et surtout pour garantir sa stabilité, une absence d’histoire), Einstein introduit en 1917, dans l’équation de la gravitation une constante cosmologique. Sa signification est que l’espace vide est le siège d’une pression qui tend à écarter les objets les uns des autres, une force de répulsion qui compense exactement les effets de la gravitation. La constante cosmologique est une propriété de l’espace lui-même : où  aE   est le rayon de l’univers (rayon de la courbure de la 3-sphère décrivant l’espace, et   L   la constante, une 3-sphère étant une sphère dans un espace à 4 dimensions).

                                                            L = 1 / a


Cette constante sera rejetée par Einstein en 1931 comme « la plus grande erreur de (sa) carrière ». Pourquoi ?

2. L’expansion.

C’est qu’en 1930, Hubble découvre par des mesures astronomiques, que l’univers est en expansion. Il n’est pas statique, comme le croyait Einstein après Newton, il est dynamique.
Ce n’est pas, redisons-le, que les objets célestes s’éloignent les uns des autres dans le vide, ce que Hubble croyait encore, c’est que l’espace lui-même se dilate, ce que Lemaître, appliquant la Relativité générale, postule. Il faut renoncer à une constante qui ne faisait que maintenir l’univers dans un état stable, statique.
Mieux, en 1998, on découvre que non seulement l’univers est en expansion, mais encore que cette expansion est accélérée.

On sait mesurer la vitesse d’éloignement des supernovae (qui sont des chandelles standard, parce que leur courbe de luminosité est toujours la même, étant donné les conditions précises dans lesquelles elles se produisent) en observant la perte progressive de luminosité (le décalage vers le rouge ou redshift, voir plus haut). En pratiquant deux mesures à des temps différents, on constate qu’en conservant la vitesse on ne retrouve plus la supernova ! C’est qu’elle s’est éloignée plus vite. Il y a eu accélération.

Il faut donc revenir, quoiqu’en un autre sens, à quelque chose comme la constante cosmologique : à une énergie du vide dont la pression (la puissance répulsive) est plus grande que l’attraction de la force gravitationnelle. Faire l’hypothèse d’une énergie noire.

Cette accélération ne date pas des débuts de l’univers. Elle est récente. Mais sa source est maintenant la composante dominante de l’univers. Ce qui signifie qu’il y a eu auparavant un univers dominé par la matière (donc une expansion, née de la grande inflation mais freinée par la gravité, où la matière noire, encore peu dispersée, exerce sa force d’attraction) avant qu’une transition de phase ait lieu vers un univers dominé par l’énergie sombre (commencée il y a 5 à 7 milliards d’années) lorsque la matière noire à présent suffisamment dispersée par l’expansion, ne parvient plus à freiner autant la force de pression (et de moins en moins avec le temps si bien que l’expansion ne peut aller qu’en s’accélérant).

Cette constante cosmologique, on la connaît aujourd’hui avec une précision de 1,9% et la probabilité pour que cette valeur ne soit qu’un effet des fluctuations statistiques n’est plus que de 1/100 000. Cette valeur est de 74,03 km/s/mégaparsec, selon le télescope Hubble (valeur déduite de l’observation des céphéides), 73,4 selon l'analyse Pantheon+ en collaboration avec l'équipe SHOES (2022).
Ainsi, toutes les 3,26 millions d'années-lumière (1 megaparsec) l'espace s'étend de 264 240 km par heure !
Toutefois, cette constante est donnée à seulement 67,4 km/s/mégaparsec par la collaboration Planck (déduite des observations du rayonnement fossile) ! De sorte qu’il y a un conflit qui n’est pas encore résolu à l’heure actuelle. On tente aujourd'hui de prendre pour cible des quasars dont l'image est dédoublée ou quadruplée par l'effet de lentille gravitationnelle. Les images reçues d'un même quasar, selon le trajet parcouru, prendront plus ou moins de temps à nous parvenir, de sorte que la luminosité de ces images sera moins ou plus grande (à cause du redshift). De ce décalage, on espère déduire une vitesse d'expansion, donc la constante de Hubble. Toutefois, le conflit plus haut mentionné n'a pas encore trouvé sa résolution.


 
3. Nature de l’énergie noire.

Trois modèles sont en concurrence pour expliquer la nature de l’énergie noire. Ces trois modèles reviennent à considérer, évidemment, le rapport de la densité p (de matière ordinaire + noire) à la pression  P, selon l’équation  w = P / p, de façon à voir comment la densité (rapport matière / volume) évolue. w exprime ce rapport et soit il est égal à –1, soit il est compris entre –1 et 0 (quoique bien plus petit que 0), soit il est plus petit que –1. Et ce sont là les trois destins possibles de notre univers. (Il y a en réalité une multitude de modèles. On ne retiendra que les trois plus caractéristiques).


a. Le modèle de concordance ou LCDM (w = -1)
L  pour l’énergie noire (c’est le sigle de la constante cosmologique) et CDM (Cold Dark Matter) pour la matière noire.

Ce modèle identifie le vide (l’énergie noire) à la constante cosmologique.
C’est le modèle d’un univers homogène, isotrope à courbure nulle qui contient matière baryonique (ordinaire), matière noire et énergie noire. Celle-ci est assimilée à la constante cosmologique.


C’est un modèle :
-qui intègre l’influence gravitationnelle de la matière noire au sein des galaxies et des amas,
-qui donne une densité de matière noire inférieure à la densité critique de l’univers (c’est-à-dire à la densité pour laquelle l’espace-temps est plat),
-qui considère que la densité totale de l’univers est très proche de la densité critique,
-qui rend compte de l’expansion de l’univers (confirmée par l’étude de l’éloignement des supernovae à partir de la diminution de leur luminosité),
-qui suppose donc une énergie noire à effet répulsif,
-qui rend compte de la distribution des galaxies à grande échelle.

Dans le modèle de concordance l’équation d’état (w = P / p) de  est  w = -1
Ce qui veut dire que : à une densité d’énergie positive (p) correspond une pression (P) négative.
Dans le jeune univers chaud, L est totalement négligeable.  Elle ne prend le dessus que dans un univers refroidi. Lorsque P = - p  (ce qui est le cas puisque  w = -1) et bien que la densité d’énergie soit positive, l’expansion est entretenue. A cette valeur de  w  la cohésion des objets est suffisamment assurée par le pouvoir attractif des matières baryonique et noire. C’est la distance entre ces objets qui ne cesse de s’accroître. L’univers se refroidit.

Dans ce modèle, la densité de l’univers diminue avec son expansion (moins de matière chaude ou froide dans un volume plus grand) et la pression (l’énergie noire) reste constante en tous points de l’espace donc augmente en valeur absolue avec le volume. Résultat : la gravité le cède peu à peu et l’univers avance vers sa dissolution. Accélération de  l'expansion.





b. Le modèle de quintessence ou RPCDM (-1 < w << 0)

L'hypothèse ici est que les lois de la Relativité générale ne seraient que des approximations qui vaudraient localement mais ne vaudraient pas à l’échelle cosmologique. On imagine ici une constante cosmologique qui varie avec le temps. w peut évoluer avec, de  -1 < w << 0
Si l’énergie noire en venait à se diluer (au lieu d’être constante en tous points donc toujours plus grande en valeur absolue), avec le temps, la gravité finirait par l’emporter et l’univers s’effondrerait dans un Big Crunch

c. Le modèle fantôme ou wCDM (w < -1)

Là, on doit remettre en question le postulat fondamental de la cosmologie selon lequel l’univers serait homogène et isotrope (postulat qui permet de calculer des distances et donc des surfaces, des volumes, des luminosités). Si l’univers n’est pas conforme au postulat, on a des erreurs systématiques sur le calcul des distances.
On suppose un  w < -1 qui amplifierait l’accélération de l’expansion de telle sorte que toute forme de matière devrait se disloquer d’ici à quelques dizaines de milliards d’années. Ce qui serait le Big-Rip. On aurait une énergie dont la densité augmenterait (pas seulement en valeur absolue) avec l’expansion et qui accélèrerait à son tour ladite expansion jusqu’à dislocation complète des atomes comme des galaxies.

Ci-dessous, les trois destins de l’univers conformes aux trois modèles :



Pour une comparaison animée des trois modèles : http://www.deus-consortium.org/gallery/deus-fur-videos/


Le satellite Euclid lancé pour 6 ans à 1,5 millions de kilomètres de la Terre en juillet 2023 doit permettre de trier parmi les modèles qui se proposent aujourd’hui d’expliquer l’accélération de l’expansion de l’univers. Il mesurera la distribution de la matière noire et celle des galaxies au cours du temps. Il explorera aussi la période de transition entre la période dominée par la matière noire et celle dominée par l’énergie noire (à travers l’exploration de 10 milliards d’années).





4. Propriétés de l’énergie noire.


Elle constituerait actuellement 66,2% de notre univers.

On suppose que cette énergie noire a le comportement d’un fluide parfait.
On suppose qu’elle se comporte comme les ingrédients de la matière standard (particules).

On a donc une équation d’état qui relie sa pression à sa densité   w = P / p.. Pour donner un ordre d’idées, pour les photons, w = 1/3, pour la matière noire ou standard, w = 0 (pour les galaxies, par exemple, dont la vitesse de déplacement est faible, de l’ordre de 1000 km/s et pour lesquelles donc P est complètement négligeable), pour l’énergie noire, selon le modèle, w = -1 ou –1 < w << 0 ou w < -1. 


5. Difficultés.

Dans la théorie quantique des champs, la densité moyenne d’énergie et de pression des fluctuations du vide quantique (dont l’existence est manifestée par exemple dans l’effet Casimir, voir plus haut) est de l’ordre de (1094 GeV)4. On a là l’ensemble des fluctuations du vide de l’univers.
Mais, le calcul de la densité moyenne d’énergie sombre, qui est la source de l’expansion accélérée, donne une valeur qui est de l’ordre de (1054 GeV)4 soit 10-29 g/cm3.
La différence des deux calculs donne 122 ordres de grandeur de différence !!!
Même en introduisant les particules super symétriques de la théorie des cordes, la différence est encore de 58 ordres de grandeur. Ce qui est toujours inacceptable.
Ainsi, si w = -1, rigoureusement, on est face à un véritable challenge tant pour la cosmologie que pour la théorie quantique des champs.
Toute la question revient à déterminer la valeur de w. D’où les trois modèles présentés ci-dessus. Et la mission EUCLID.

6. Avancées

 L'étude BOSS (Baryon Oscillation Spectroscopic Survey), dont l'objet était de réaliser en 3D une carte des galaxies distantes de notre univers, aurait permis d'obtenir une mesure (sur la base de 1,2 millions de galaxies)  de la quantité d'énergie sombre responsable de  son expansion.
Le principe de cette mesure repose sur l'écoute des oscillations acoustiques des baryons apparues dans l'univers primitif, oscillations du plasma primordial entraînant une répartition des galaxies selon des sphères concentriques. Ces oscillations résultaient de l'opposition entre d'une part l'attraction par des régions plus denses en matière noire, de matière baryonique et, d'autre part, le rayonnement qui s'oppose à cette accumulation. Les mouvements oscillants sont le résultat de cet antagonisme. Des points de concentration de matière sont apparus et se sont renforcés avec le refroidissement et transformés en galaxies. En comparant la distribution originelle ainsi trouvée et la distribution actuelle des galaxies on mesure les effets supposés de l'énergie sombre.
Ces données sont tout à fait compatibles avec le modèle de concordance (LCDM).
Accessoirement, la théorie de la gravitation d'Einstein dont certains disaient qu'elle n'était peut-être pas aussi correcte à de très grandes échelles qu'à la nôtre, reçoit confirmation de sa validité.
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On a jusqu’ici traité de la question de l’origine de l’univers (le Big-bang), celle de son évolution (la grande inflation), celle son organisation (avec la matière baryonique et la matière noire) et celle de son expansion (avec l’énergie noire).
Reste à explorer les différents modèles proposés par la science pour cet univers : comme les multivers, les univers chiffonnés, etc.
Mais il faut pour aborder ces questions d’ordre cosmologique de façon compréhensible, passer d’abord par la théorie de la Relativité générale à l’origine de la compréhension de l’interaction gravitationnelle. On reviendra ensuite à la cosmologie.

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